Je consulte un album de photographie. Il nest pas récent. Il parvient de la fin du siècle dernier ou du début de ce
siècle-ci. Je mattarde sur un portrait de famille. Debout, un monsieur agé de quarante ans environ, complet noir,
cravate. Il appuie la droite sur le dossier dune chaise où se trouve assise une dame aux cheveux lisses, sereine, hardie,
énergique. Des garçons et des filles entourent le couple. Ils sont ses enfants. On a vu plusieurs photographies comme
celle que je viens de décrire. Il y en a partout. Le teint, les traits du visage, les vêtements varient selon la région et
lépoque, mais la distribution est a peu près la même.
Lun des photographiés, imaginons, prend la photographie. Il nespère pas se voir comme il est, mais comme il voudrait
être vu. Il sété habillé pour être photographié, il avait réglé avec les autres lendroit qui lui appartiendrait. Cheveux,
nez, bouche, habit, chaussures -- il avait pris la précaution pour que tout soi à sa place. Entre les photographiés et le
photographe il y avait un pacte, bien que tacite. Le photographe devrait deviner le désir de chacun. Sils navaient pas
eu de confiance en lui, ils en auraient cherché un autre. Un portrait de famille est une chose plus sérieuse qu une photo
individuelle. Pour faire faire un portrait de famille, il faut réunir le groupe. La photographie ne signale pas seulement un
moment, elle a une importance historique. Elle devra traverser les époques. Elle est un monument.
Outre ses soins artistiques, le photographe sengage à satisfaire ses clients. Que lui pourrait valoir de les trahir? Ce
profissionnel-ci est différent, par exemple, dun reporter attentif surtout à la réaction du patron, du lecteur. Solidaire du
groupe, le photographe sapplique à perpétuer la famille à un moment de gloire. Il soigne les détails, intervient pour
corriger la position dune jambe, oriente la direction dun regard, observe lharmonie de lensemble.
Je regarde la photographie avec dautres yeux. Comme je ne connaîs pas les gens, je me sens attiré par lépoque où la
photographie a été prise. Jobserve la mode, la couche sociale, les ruses du photographe qui échappent aux
photographiés, plus concernés par eux mêmes que par le travail de lartiste. Tandis que je méloigne, je surprends les
intentions du groupe: transmettre organisation, solidité, tranquilité.
La psychanalise devient populaire. Les cabinets se multiplient dans les prospères centres industriels. Des publications
chaque fois plus fréquentes parlent dune tragedie, ancienne comme l Edipe-roi de Sophocle, une tragedie
quotidiennement mise en scène derrière le rideau des physionomies sereines, une tragédie que lappareil
photographique ne capte pas, mais qui laisse des traces dans le discours. Le psychanaliste remarque que le changement
du décor, rural ou urbain, riche ou pauvre, naltère pas le récit: un père autoritaire enterdit au fils laccès au corps de sa
mère, coffre de richesses songées. Devant le portail du paradis éclate lépée de feu, symbole paternel, dun ange qui
empêche le retour du fils exilé, errant, condamné à gagner son pain à la sueur de son front. Affligé par une faute
mystérieuse, le fils, parricide sans le savoir, marche en quête de soulagement de ses maux. La fiction collabore avec la
tragédie familiale. Stephan Dedalus, je me refère à lUlysses de Joyce, ayant refusé la culture qui lavait élévé, privé de
la protection paternelle, marche par les rues de Dublin sans savoir sy orienter. Le sort, qui promeut la rencontre
accidentelle de Dedalus avec Leopold Bloom, le père qui désire un fils, ne comble pas des vides. Molly, lépouse
insatisfaite de Bloom, Pénélope à rebours, abrite plusieurs prétendants, des Oedipes insatiables.
Un autre portrait: un couple contemple radieux le nouveau-né dans le berceau. La photographie enregistre une image
que le pinceau avait déjà produite il y a des siècles: Marie, Joseph et lenfants Jésus. Le regard plein despérance des
adultes fait de chaque enfant un nouveau messie, prince destiné à créer le royaume de paix qu eux-mêmes furent
incapables dimaginer. Une version profane de cette scène nous offre La Tour (1593-1652). Dans son tableau une
femme en rouge porte un nouveau-né dans ses bras et à son côté il y en a une autre qui de la main droite cache une
bougi illuminant la scène. Lenfant emmailloté dort. La bougi cachée, la petite tête éclate comme si la lumière prît son
origine de lenfant aux yeux serrés. Loin du centre lumineux, les ombres qui annonce la mort deviennent denses. Les
femmes, tournées vers lenfant, songent à lavenir. La Tour, en annonçant le siècle des lumières, surprend dans le
sommeil de lenfant la source qui illuminera lunivers.
Cette image de paix déchaîne depuis lantiquité des conflits sanglants. Laios, averti par loracle quil devrait tomber
assassiné par son propre fils, essaie desquiver la malédiction en ordonnant le sacrifice dans les montagnes de l
adversaire que lui-même avait engendré. Hérode commande la tuerie des garçons agés de moins de deux ans, lorsquil
sait, renseigné par les mages, que le roi dIsrael était né dans ses domaines. Serge Leclaire cautionne, dune certaine
manière, le massacre des enfants perpétré par le roitelet détraqué et luniversalise. Nous débutons, argumente-t-il, par
tuer lenfant (étymologiquement celui qui ne parle pas) linstant où nous commençons à parler. Essayons dinterpréter
les mots énigmatiquement oraculaires du psychanaliste. Si nous désirons survivre dans un monde hostile aux héroïsmes,
il importe de sacrifier le prince que nous gardons en nous mêmes dès les premières semaines de la vie. Tuer lenfant
glorieux signifie être-pour-la-mort. Pas la mort en tant quun horizon futur, mais la mort qui entre dans la vie, la mort qui
mine des certitudes, qui provoque linstabilité. On ne tue pas le prince glorieux dune heure à lautre. En effet il a déjà
été tué plusieurs fois au long de lhistoire, laissant des cendres dont il renaît. Confronté avec la mort dans des versions
variées, cest dans limminence de la mort quil importe danalyser Narcisse.
L enfant glorieux, a-t-il eu loccasion de se développer un jour? Peut-être dans lépopée homérique. Les vers du siège
de Troie exaltent des héros jeunes, beaux, forts, qui dévastent les armées ennemies, admirés et applaudis par les leurs.
Ces héros-là, cependant, bien que fils de dieux, vivent déjà minés. Le corps inviolable d Achille souvre à larme de
lennemi à lunique endroit non protégé, le talon. Immortalité, il ny a que celle accordée par le chant. Le guerrier
éclatant est une création littéraire.
Les pages de lhistoire, en contrariant la pérennité épique, enregistrent lagonie lente du prince glorieux.. Encore que
Baudrillard distingue Narcisse dentre les mythes anciens, la guerre contre les représentations narcissiques nous étourdit
au long des siècles. Une delles est celle engagée contre Promethée, le titan rebelle qui envahi les dominaines reservés
aux dieux pour bénéficier les hommes malheureux. Zeus, ne pouvant le tuer, puisqu il était immortel, le tourmente sans
complaisance. Des apparitions narcissiques sont les sphères aristophaniques du Banquet de Platon, qui roulent pleines,
robustes, autosuffisantes. Les sphères dAristophane semblent des oeufs pareils à celui qui a donné origine à lunivers
selon la mythologie orphique. Zeus, en craignant leurs ménaces, les blesse. Transis de douleur, les mortels qui résultent
du coup, bougent affligés par le désir insatiable de retrouver ce quils ont perdu.
Sophocle avait déjà montré un exemple tragique comparable à linvention aristophanique: Oedipe. Le fils de Jocaste,
comparaît glorieux, réussi, fêté par les siens et par la patrie, qui lui confère le titre de second fondateur. Qui pourrait
espérer que linvestigation conduite par le roi zélé pourrait lui devenir nocive? Le crime hideux, involontairement
commis, lui arrache la gloire et le trône. Les yeux blessés signalent la profondeur de la cécité. Oedipe, en constatant
que le prince glorieux avait causé la ruine de sa famille et de son peuple, lhumilie en son propre corps devant tous.
Platon frappe un autre prince, lorateur, qui, ayant sappropié le discours, dominait souverainement lassemblée, le
tribunal, le savoir. En lattaquant, Platon esquisse un homme qui ne sait pas parler, un infans sage, un sujet questionnant,
conscient de ses déficiences, un marginal hardiment hostil à léloquence au point déviter autant les harangues adressées
au peuple dAthène que les défenses qui éclataient dans les tribunaux. Aux hommes qui savent tout, Platon oppose
lhomme qui ne sait rien, Socrate. Dans le système platonicien, Narcisse, en sabsentant de la compagnie des humiliés,
se réfugie à un monde idéal, désiré, distant, où, à côté de la justice et du beau, vit lhomme parfait, auprès duquel les
spécimens connus ne sont plus que des ombres.
Aristote, en dépassant les déficiences des dieux mythiques, crée un Dieu parfait. En le protégeant de la contamination
des faiblesses humaines, le philosophe déclare que Dieu ne connaît rien outre soi-même, cela veut dire, rien outre la
perfection.. Le Dieu aristotélique reçoit le nom dActe Pure. Voici linvention plus narcissique de lantiquité. Pour vivre
enfermé en soi-même, il nest pas nécessaire que les hommes craignent sa vigilance, ni sa punition. Aristote termine de
cette façon la guerra engagée entre les hommes et les dieux depuis lâge mythique.
La pensée grecque subit, avec Saint Agustin, une revision soigneuse. Dans ses écrits, le Dieu biblique, en séloignant de
lActe Pur aristotélique, sinstalle dans lhistoire individuelle et collective des hommes. La perfection se déplace de l
homme idéal platonicien au Dieu grand , digne de louange, puissant, sage. Lhomme, au contraire, reçoit le nom de
mortel. Comme celui-ci, Dieu est personnel. Augustin, dans les Confessions, sadresse directement à lui et lappelle tu.
Vu que lhomme a été fait à limage de Dieu, le Créateur, siège de la perfection, exerce une séduction forte sur la
créature au point dobscurcir dautres intérêts. Les yeux sélèvent des lacs, des richesses, des beautés pour se
concentrer en Dieu, lumière suprême. Où faut-il le chercher, en soi où hors de soi? En soi, parce que, étant shumanisé
en Jésus Christ, il entra dans la vie de ceux qui le reçoivent; hors de soi, parce que le fini ne contient pas linfini. Dans
cette ambiguité vivent ceux qui répondent à lappel de Dieu.
Le Narcisse qui a donné lorigine à lère industrielle fut conçu par Descartes. Lhomme cartésien, transparent à
soi-même, certain de la supériorité que la raison lui accorde, assume la direction du monde. En règnant
despotiquement, il dirige les états, exploite la nature, élabore des arguments qui soutiennent la souveraineté de Dieu.
Lhomme cartésien se divise, puis, dans le calcul sadique qui commande les rélations érotiques et limpulsion intérieure
qui pousse les héros de Stendhal à des ambitions sans limites.
Lexistence du héros cartésien na pas duré longtemps. Il saffaiblit frappé par lexercice de la raison lui a donné
lexistence. Éclairé, disséquant dune manière profane des cadavres, l homme observa dans la mort les traits de sa
propre physionomie. La mort est son miroir, pas dieu comme autrefois. La disparition des civilisations du passé le
poussa vers la découverte de lhistoire. Lenquête des espèces exterminées lui a suggéré la théorie de la transformation
universelle. La philologie est née de la mort des langues. Dès que la mort avait envahie tous les domaines du savoir, il
na pas été difficile à Nietzsche de proclamer à la fin du dernier siècle la mort de lhomme et par conséquent la mort de
Dieu, soutenu par les arguments de lhomme.
La mort, nétant plus un horizon externe comme autrefois, pénètre dans la substance de ce que nous sentons, pensons
et sommes. Heidegger, inséré dans cette tradition, definie lhomme comme étant-pour-la-mort. Comme tel, lhomme,
en abandonnant des préoccupations métaphysiques, se lie à sa propre finitude, la seule façon de vivre la vie dune
manière responsable, conçue comme une lutte quotidienne engagée contre le dégât. Léternité qui reste est celle dont
nous jouissons dans la minute qui écoule sans passé ni avenir, moment fugace où lunivers sillumine. Si au début du
dernier siècle les romanciers se rendaient toujours à des descriptions minutieuses à la manière de Balzac dans lillusion
que lobservation attentive pourrait épuiser la connaissance de lobjet, ceci narrive plus dans les mouvements qui
poussaient les arts dans une autre direction à la fin du siècle dernier et à laurore de ce siècle-ci. À la place de
lobservation aiguë, Baudelaire inaugure la vision fugace, le temps mine la solidité de lespace, le passage rend vite
impossible lobservation attentive. Les mots reculent dans les expériences de Mallarmé. Le discours copieux se réduit à
un seul mot dans la poésie concrète. Des avant-gardes, en balayant les mots de la page imprimée, recourent à limage
picturale pour les remplacer.
Heidegger appelle lhomme désessencialisé être-là, clairière où sillumine lêtre qui se dévoile et se cache dans les
étants. La désessencialisation sélargit dans les convulsions de la première Guerre Mondiale. Dans lunivers sartrien, le
néant apparaît dans l émergence de lhomme. Beckett, Camus et Kafka mettent en lumière lexistence absurde de
lhomme dans le théâtre et dans la fiction. Autour des années soixante dans le nouveau roman le narrateur, en assumant
la position neutre de la caméra cinématographique, réduit lhomme à la structure des autres étants. Pouvons-nous le
considérer toujours clairière de lêtre? La photographie et la cinématographie éclaircissent mieux. Lobervation,
centrale dans la pensée depuis Héraclite, se déplace de lhomme aux instruments.
Où placer Narcisse, centralisé autrefois dans lenfant glorieux, maintenant que celui-ci est mort? Deleuze et Guattari
élaborent une théorie qui clôt lempire de lenfant glorieux. Les auteurs, en dépassant autant le conflit oedipien que celui
du moi narcissique, avancent vers la région où Nietzsche situait la volonté de pouvoir, endroit où la nature et lhomme
ne se distinguent pas, totalité indivise, coeur palpitant de la réalité, machine célibataire de léternel retour, matrice des
usines et de lhomme. Dans ce corps schizophrène, producteur universel, endroit où il ny a pas de trace du moi, abris
de linconscient sans loi, se trouve le désir, architecte des objects particuliers. Le désir étant plein ne lui manque rien.
Les bésoins en dérivent. Les machines désirantes precèdent les mécaniques. Parmi les produits des machines désirantes
est la machine sociale, le socius qui en assumant des traits capitalistes, distribue les masques du théatre oedipien. Le
père représente le seigneur, cest au fils dagir comme employé, la terre apparaît dans la mère. Chacun se meut dans la
sphère que la machine sociale lui accorda. Voici lorigine du spectacle oedipien-narcissique. Les acteurs jouent des
rôles qui leurs échappent du contrôle.
Lhomme cartésien étant mort, Foucault cherche les forces qui agissent dans lhomme, conscient de sa précarité, hors
de lui, enraciné dans le fond où toutes les formes se présentent diluées. Orienté par la volonté de pouvoir nietzschienne,
lessayiste parvient à trois force de base: la vie, le travail et le langage. Insistons sur elles.
La biologie, rompant la barrière qui gardait les secrets de la vie, fait, jour après jour, des avancements spectaculaires.
On peut déjà déterminer le sexe, prolonger la fécondité féminine, réduire la distance entre lhomme et les animaux au
point dessayer limplantation dans lhomme dorganes dune autre espèce. Le laboratoire découvre des déterminants
qui échappent au contrôle du sujet.
Le rêve dune société sans classes étant fini, le capitalisme déclaré décadent il y a peu dannées pénètre dans les
frontières les plus récalcitrantes. Le renversement a eu lappui de lordinateur et du robot, qui nexigent pas de salaire,
ne luttent pas pour la dignité du travailleur, ne réclament pas le respect des droits de lhomme et jettent des millions des
jeunes dans les rues, sans avenir, sans illusion, sans perspective de travail. Le loisir, imposé par le développement
technologique, attire une attention égale à la production de richesses. Le travail humain, fondement de la théorie
économique du siècle dernier, requiert une autre théorisation.
Le langage, réduit au jeu des signifiants, noffre pas de message. Lherméneutique, qui cherchait des trésors dans le
discours, a changé de direction où a été remplacée par la sémiologie. Pour Lacan, linconscient, vidé de contenu, se
structure comme un langage. Dans la critique littéraire au lieu de la révérence au monument séparpille la
déconstruction, une vision desacralisée du texte. Lauteur génial mort, on dissèque le texte avec lobjectivité cientifique
du physiologue. Lidéologie qui soutenait la génialité du producteur de loeuvre littéraire une fois dénoncée, restent les
pièces qui la composaient.
Plusieurs réflexions démettent lhomme de léminence dautrefois et le tiennent pour une forme parmi dautres. Ainsi
orienté, Freud situe le narcissisme dans les cellules originaires. (Die Keimzellen selbst würden sich absolut narzisstisch
benehmen. III,259) Nous pouvons accompagner le narcissisme dès ses origines jusquau désir de réunir ce qui sest
fragmenté, de ramasser dans une mémoire gigantesque les résultats du savoir, dexercer un contrôle global. Lère
chrétienne sapproche du deuxième changement de millénaire. Le temps extériorisé du calendrier importe peu. Le
rapport avec le monde importe, la manière de devenir historique. Dans lantiquité on ne représentait pas le temps par
des millénaires. Des périodes plus longues ou plus courtes étaient mésurées par des événements qui se répétaient, les
olympiades en Grèce, la succession du gouvernement consulaire à Rome, temps tourné vers soi-même, égal et
circulaire. Lorsque la ligne courbe souvre traçant un parcours du début à la fin, vient lidée des transformations
profondes. Le premier changement est arrivé à lépoque de lautorité du Livre Sacré dont lApocalypse parle dune
manière énigmatique du renouvellement de toutes les choses à la fin de mille années. On attendait la seconde arrivée de
Jésus, réprovation définitive pour les uns, rédemption pour les autres.
Le passage du millenaire narrive pas maintenant sans appréhension. La fragmentation de la culture perçue à la fin de la
Seconde Guerre fut poétisée par T. S. Eliot dans The Waste Land quant au discours et quant au thème. Oswald
Spengler dans Le déclin de lOccident (Untergang des Abendlandes) défend la thèse que le cycle de la civilisation
européenne, centrale jusqualors, sétait clos, à la façon des organismes vivants.
Le cycle de la vie et de la mort est interprété dans le Narcisse de Salvador Dali. La tête penchée dun jeune forme un
oeuf, image dun autre oeuf soutenu par les doigts qui sélève du miroir liquide. Dans la Bible lhomme est une image de
Dieu. Chez Dali, la tête de lhomme est une image de loeuf, sorti des eaux, tombe et berceau. Tandis que dans la
peinture maniériste de Michel Ange, le doigt de Dieu donne origine à lhomme, pour Dali la main créatrice qui rappelle
une sculpture procède des eaux. Une fente dans longle du pouce réfléchie dans le pli du doigt qui dessine une vulve
symbolise lalternance de la vie et de la mort. Le chien, souvenir de la vie chasseresse de Narcisse, conduit la séduction
de limage au monde animal. La statue au centre dun plancher visualise lespace urbain, la danse des jeunes illumine la
jeunesse, deux sphères refusées par Narcisse, amoureux de soi-même. Les rochers évoquent Éco pétrifiée. Le tableau,
pas lié à une image cristallisée, approche des moments éloignés dans le temps et dans lespace en entraînant lensemble
dans le mouvement universel. Si nous plongeons dans les eaux, suivant le geste du peintre, nous atteignons loeuf
primitif, origine de la totalité, doù nous émergeons pour surprendre linstant où la vie saute de la crote rompue. Le
mouvement en haut et en bas laisse des traces de la passion narcissique dès les abîmes jusquau sommet des
montagnes. Narcisse se dissémine en sémences qui, en mourant, renouvèlent la vie. Les diverses parties du tabelau se
répandent dans un récit tronqué, allusif. Le présent et le passé, le prochain et le distant sentrelacent. Le tableau fait
allusion à un texte; il est un texte, discours, langage.
Provoquons la convergence du tableau de Dali avec Água viva, roman de Clarice Lispector, où sarticulent des
chemins à travers le présent, plein déternité, vers le placenta, vers le plasma, vers lutérus du monde, en perçant la
phrase, humide, colorée, dense comme la teinte dun tableau, mouvement qui attire lépistolière fictive voluptueusement.
Le plaisir de créer des paroles est comparable à la joie de la forêt, exprimée par lélan qui anime les arbres. Les mots
qui cherchent les origines retournent revigorés pour nommer de vagues fulgurations. Lécriture avance au rythme des
syllabes et des lianes. Des liens logiques se désarticulent. La chronologie oubliée, le temps nobéit pas aux aiguilles des
horloges. Des masses verbales sécoulent bouillantes commes des laves. Le texte étant fugace, fluide est la lecture.
Narcisse ne se trouve pas seulement chez le destinataire (Tu te regarde toi-même et tu taimes, p. 101), lépistolière
contemple son propre visage en regardant sa face nue sans méditer. Le moi dissout dans un sentiment vague de vie et
de mort, il y a toujours une face vide, tournée vers les eaux , une face à tous et à personne, immergeant et émergeant en
une passion narcissique, cosmique, dispersée dans lair, dans la mer, dans les plantes, une pluralité en quête de lunité.
La mort ayant contaminé le coeur de la vie, dévore jusquà la physionomie comme on lit dans les vers de Fernando
Pessoa. Lorsque je regard moi-même, je ne me perçoit pas, dit le poète. Pour Descartes il ny avait pas de distance
entre le moi qui perçoit et le moi perçu. Le penseur en disant je pense (cogito) affirmait la présence du sujet à
soi-même sans médiation.. Lunité rompue, le sujet de lénonciation se perd comme objet, en avançant par le chemin
des émotions. Ce quil sent ce sont des sensations de soi-même où de lobjet? Le doute se répand dans toutes les
directions, en entraînant lathéisme. Pernando Pessoa se doute jusqu`à ses sentiments. Ce quon ne voit pas est plus
fort que limage refléchie dans le miroir.
On explique le succès du Petit prince à la fin de la seconde Guerre mondial à cause de la nostalgie dune gloire qui
nexiste plus, limage agrandie de lhomme, reproduite jusquà dans des films triomphals qui exaltent les faits militaires.
On la voit encore dans lattirance éprouvée pour lathlète, pour la femme jeune et belle. Nous cherchons dans ces
images la vigueur qui nous pousse à lexploration de lespace sidéral. La brisure de limage glorieuse se multiplie en
fragments, des millers de morceaux de lunité perdue.
Les contradictions entre le pouvoir spectaculaire de lhomme et sa fragilité se manifestent dans les interprétations du
surhomme nietzschien, héros splendide de lavenir pour les uns, mortel conscient de sa mortalité selon dautres. La
première interprétation, responsable pour la vanité qui ensanglantait le monde ne trouve plus dadeptes. Une version
plausible du surhomme est cette entité où convergent les forces déchainées du passé, inventeur de la postmodernité,
lhomme anxieux de sauver la multiplicité dans laquelle la modernité sest fragmentée. Orson Welles nous en offre une
image dans le Citizen Kane. Pour la produire, le cinéaste résolut à rompre la séquence narrative. Le surhomme du
moment se dispose à faire des expériences, à entreprendre des constructions monumentales, à récupérer des morcaeux
dautres civilisations, à affirmer le pouvoir en recueillant ce quil peut, des simulacres. Au lieu du fondement, la trace, la
cendre laissée par lincendie. Trace de quoi? Des essences décédées.
Le rythme accéléré du développement sest opposé au vertige devant labîme. Vinrent lavion supersonique, la
télévision, les voyages spatiaux, les transplantations, les expériences génétiques, lavance de linformatique et de la
robotique. Il y a peu de temps, nous avons placé dans lespace un oeil qui a quintuplé lunivers. Nous pensâmes que la
terre était un petit grain de sable dans un univers de dix millards de galaxies. Nous croyons aujourdhui que nous
respirons dans un univers de cinquante millards de galaxies. Les conjectures sarrêtront là? Comment songer à des
limites dans un univers chaque fois plus grand?
À cette époque-ci, la nôtre, on annonce la réhabilitation de Narcisse notoirement différent de celui produit dans
lantiquité. Le monde qui inventa Narcisse sappuyait encore sur des substances. Narcisse luttait tragiquement entre
limage et ce qui la soutenait. Le conflit dautrefois a échoué à lépoque où limage triomphe. Si limage règne, quoi
chercher au-delà de la superficie? Heidegger déclarait encore inauthentique la vie qui se perdait dans lapparence.
Maintenant lapparence est tout.. Quoi lire si le livre sest fini.
Impatience de recueillir, receuillir sans critique, mélanger des colonnes, des arcs, des strutures métaliques, des murs de
verre. Nous avons déjà des indices de ce vertige Ode triomphal, poème que Fernando Pessoa écrivit à Londres
pendant le mois de juin de 1944. Au lieu de Dieu, le poème nous offre la matière divine et productrice à la manière de
la nature analysée par Deleuze et Guattari. Des personnages confrontés: le moi et le produit industriel. Devant les
rétines érotiquement ouvertes défilent les machines et leurs produits. La vitesse accélérée vertigineusement a pris le lieu
de ce qui est perpétuel. Les éternelles essences platoniciennes ont cédé leurs places à des apparitons qui ne durent plus
quun moment. Dans le flux véloce des vers, des conjonctions et des concepts sevanouissent. Aucun ordre rationnel
soutient lamas de fragments du passé, des visions du présent et des antécipation de lavenir. En remplaçant la nature,
la productivité industrielle rappelle l éxubérence tropicale. Une autre Minerve se tourne vers ce qui passe. En étant
adversaire de lantique, qui dévoile réflexivement les choses, la Minerve du moment, en rien métaphysique, recueille des
appréhensions pérécibles, de rapides nouvelles de journal. Le sujet attiré acceuille tout cela avec amour. Quon ne
pense pas à un amour éternel. Dans le monde accéléré des engrenages rien ne dure plus quun second. Vorace est
lamour de celui qui est pénétré par les yeux, par les oreilles, par le tact, par tous les sens. Le délice qui le pousse lui
rappelle un corps de femme. Ode triomphale est un titre ironique. Le comportement de celui qui contemple fasciné
séloigne énormément du héros des temps anciens, maître de soi-même et des circonstances. Au lieu des invasions
nous avons un sujet envahi, déchiré par les objets. Le plaisir nest quaux yeux, pas dans lacquisition. Celle-ci, si elle
réussissait à semparer de ce quelle désir, pourrait rendre douce la sensation de la possession. Labondance de la
production industrielle met en déroute, pourtant, jusquaux les acheteurs les plus ambitieux. Le héros de Pessoa semble
lhomme inauthentique heideggerien. Lhomme inauthentique, absorbé, égaré, anonyme, sans projets, regarde pour le
plaisir de regader. La technique, sa création, amène loubli de lêtre à un dégré sans précédents. Au contraire de ce
quon lit dans Ode triomphale, la technique, planifiée, oblitère les sens. Plein dune manière narcissique, lhomme de
lère technologique agit vigoureusement sans angoisse, sans joie, sans douleur. La vie inauthentique de Heidegger
devient style de vie. Lexcès et le gaspillage prolifèrent. Un monde dans une liquidation continuelle des excédents.
Fernando Pessoa, des signes de la mort marqués, engage la lutte contre lhomme inauthentique, le Narcisse des
nouveaux temps, dans Poème en ligne droite En reconnaissant être vil, cochon , sale, ridicule, absurde, grotesque,
mesquin, comique -- les adjectifs abondent-- le poète dit quil na connu que des champions, des gens qui ont réalisé l
Idéal de la vie. Derrière les négatifs du poète, selève le masque de lhomme industriel, qui ne reconnaît pas sa
culpabilité, qui nadmet pas linsuccès, qui feint le bonheur, la puissance. Le poète a quotidiennement vécu avec des
demi-dieux, des princes, des adultes qui lustrent en eux-mêmes limage de lenfant glorieux. Un produit de lère
industrielle est le syndrome de Peter Pan décrit par Dan Keiley. Endurent le mal les adolescents et les adultes qui se
mettent en colère lorsquon leur nie le confort, la perfection, la beauté, les délices du doux paradis enfantin. Peter Pan
rejet le travail adulte, la discipline urbaine, rêvant de la Terre du Jamais, négation de la mort.
Lart populaire urbain, lart pop, commémore la réconciliation avec la civilisation des produits manufacturés. Lart pop,
en rejetant labstrait intellectualisé, se tourne joyeusement vers le produit industriel, au moyen de la communication de
masse, en niant à lhomme léminence accordée à lui par lart dautrefois, lhomme qui avait déjà été réduit à la
proportion des manufactures dans les réflexions de Léger pendant les premières décenies du siècle. Au lieu de lhomme
créé par la nature, les peintres nous offrent un spécimen produit par la machine, une musculature développée dans les
académies, des positions perfectionées par les revues et par la toile lumineuse parmi des réfrigérants, des vestes en cuir,
des bulletins météo, des décalques, des postes récepteurs de radio et de télévision, des petites annonces, des phares,
des garde-boue, des vis, des détritus, des jouets... Les manufactures ont pris le lieu de cheminées qui jetaient de la
fumée intégrées dans le paysage architectonique. Les artistes remplacent les toiles usuelles par de nouveaux matériaux
de travail: le formica, les textiles, les matières plastiques, les émaux d automobiles. Les héros sont maintenant ceux de
lère technologique, les hommes mécaniques, aventuriers de lavenir. Dans lunivers cybernétique éclate une étoile
nouvelle, Marlyn Monroe, dont limage industriellement fabriquée et reproduite par millons, pénètre triomphalement
dans toutes les frontières pour reorienter des songes. La mort allonge le pas. Lart de lère industrielle, en sopposant
aux artistes du passé, désireux de produire des monuments éternels, devient mortel. Les usines produisent pour la
consommation, pour la reposition rapide.
Les réflexions sur le narcissisme nous jettent dans le coeur de la discussion soutenu pour définir la modernité et la
postmodernité. Nous incorporons aux débat la prose dun auteur inquiet, Milan Kundera. Bien que la biographie
accidentée du romancier sinsinue dans la trame de ses récits, Kundera insiste sur le droit de maintenir séparées la vie
privée et la personnalité artistique. Lauteur, hostile à la publicité, comprime les informations personnelles dans une
seule ligne: Milan Kundera est né en Tchecoslavie. En 1975, il sinstalle en France. Cest cela qu on lit dans le
vestibule de
ses livres. Sil garde le silence jusque sur sa naissance, quon nespère pas des prodigalités au sujet de son imigration
en France. La fiction dévore la personnalité civile à mesure quelle génère la personnalité littéraire. Celle-ci est la seule
qui importe. Si Kafka, réfléchit-il, restait dans la mémoire grâce aux incidents de sa vie, quelle importance aurait son
oeuvre? Le destin de lauteur est devenir littérature. Celle-ci est son image. Vu que Kundera décourage la paraphrase
de ses livres où des livres dautres --la paraphrase banalise linvention-- faisons ce que lauteur espère, réfléchissons à
partir des voies quil a ouvertes. Loeuvre imaginaire requiert lentrée du lecteur dans le jeu de limagination.
Nous voyons dans des précautions de Kundera contre léclat public des signes de la mort de lhomme annoncée par
Nietzsche, projétée aussi dans les textes de Heidegger, de Foucault, de Derrida et dans une grande partie de la
production littéraire contemporaine. Nous sommes loin de Saint Beuve qui, suivant Descartes, prétendait découvrir
dans la personnalité de lauteur le mystère de loeuvre génial. Kundera suppose le contraire; cest loeuvre qui illumine
la vie, perdue sans celle-ci dans lindifférence. Il soutient que le roman réalise lintention dHeidegger, puisquil
récupère la réflexion sur lêtre, oublié dans la métaphysique occidentale. Quon nespère pas a lépoque du deuil causé
par la mort de lhomme des caractères bien marqués comme ceux qui balisent le roman du siècle passé. Kundera
subordonne lhomme aux forces qui le dépassent. Rappelons les titres de quelques uns de ses romans: La plaisanterie,
Limmortalité, Le livre du rire et de loubli, Linsoutenable légèreté de lêtre. Des catégories générales prennent le lieu
autrefois accordé aux personnages. Le poids, la légèreté, la sexualité, la jalousie, lamour ne prennent pas leurs origines
dans lhomme, étant des forces que le surpassent et le traversent. Pourquoi décrire des personnages si pas même des
mouvements de la main ne leurs appartiennent exclusivement. Il serait plus correct de supposer que les gestes
soutiennent les personnages. Agnès, l héroïne de Limmortalité naît dun deux.. La conception anthropologique de
Kundera ne diverge pas de lexposé par Foucault, un autre héraut de la mort de lhomme.
La même Agnès interroge le père taciturne sur la fois en Dieu. La réponse lui vient: je crois à l ordinateur de Dieu.
Suivons lidée. Devons-nous supposer un programme originaire qui prévoit tous les options de lhomme sans
déterminer les manières de leurs exécutions? Cest une façon nouvelle de réfléchir sur la relation destin-liberté, héritage
des temps mythiques qui nous inquiète jusquà nos jours. Or si un programme existe pour lhomme, on doit admettre
des programmes pour toutes les formes aussi. La terre ne constituerait pas une unité, si les programmes nétaient pas
subordonnés les uns aux autres, commandés par un appareil central responsable pour l harmonie de la planète. Si nous
avançons, nous devons songer à des programmes responsables pour le système solaire, pour les galaxies, pour
lunivers. Les sciences qui nadmettent plus le hasard, qui légifèrent le chaos cheminent dans la même direction. La
liberté ne se trouve pas exclue. Ce qui recule cest l humanisme qui mettait lhomme sur le trône des décisions.
Des réflexions sur des décisions libres poussent Kundera, rompant le pact scellé entre les média et lart, à combattre la
communication démocratisée. La diffusion massive de linformation sempare de la fonction de raconter, accordée
autrefois au narrateur épique, et du travail de documenter dont sétait chargé le roman réaliste. Linformation et limage,
déchargées du déchaînement dun comportement critique, neutralisent le mythe et le poids de ses interprétations.
Débutons par la photographie. La photographie, comme nous lavons vu, cristallise le mouvement. Selon Kundera, la
photographie instantanée ne favorise pas la liberté. Lappareil photographique, en remplaçant loeil de Dieu, poursuit,
offense la privacité, annule la solitude , tyrannise. La diffusion massive en pratiquant la reproduction monotone propre à
l industrie promeut le kitsch, qui, selon la pénétrante analyse de Eva le Grand, obstrue laccès à la connaissance
hétérogène, à lambivalence.(57) Reprenons Marlyn Monroe, exemplaire pour la période de la kitschicisation
universelle. Même le nom de létoile des millons de fois reproduit, inventé pour impressionner, cache la fille pauvre,
transformée en idole. Chez Marlyn tout est industriel, laspect physique, la manière de parler, les sentiments, les gestes.
Limage une fois produite, les média se chargent de lexposer dans le marché mondial. Le cinéma, la presse et la
télévision conjugués dépassent la victoire de larmée. Il ny a pas de région sur la terre qui resiste aux média. Ils
convoquent des passions, étouffent des décisions. Quon observe le pouvoir de limage de Marlyn sur les femmes. Le
modèle se reflète dans les coiffures, dans les plis de la jupe, dans la manière de regarder, dans le sourire. Kundera voit
le kitsch succéder à la métaphysique. En simposant au quotidien, en absolutisant limage, le kitsch mène à loubli de
lêtre. Autant au service de la droite quau service de la gauche le kitsch est impérialiste.
Précisons les distinctions. Nous avons le narcissisme statique, celui des média, du kitsch, de la réproduction industrielle,
hostile au narcissisme dynamique, agent du renouvellement, lié à la circulation de la vie et de la mort mis en scène dans
le tableau de Dali. Evitons des proscriptions. Nous sommes attachés au rituel des répétitions dès les origines. Des rites
quotidiens nous prennent à de forts courants culturels. Nous réitérons des cérimonies, réproduisons des gestes,
insistons sur des expressions sans lesquelles la vie sociale serait inconcévable. Le rite nous traverse, nous stabilise,
pourtant la reddition inconditionnelle au kitsch nous étouffe banalisés. Dans lurgence de la rénovation nous recourons à
lart. La vie se compose de la synthèse problématique de linstable et du bougeant. La sexualité répétitive conduite par
le désir de collectionner est kitsch. En contestant le principe de léternel retour nietzschien, il nimporte pas si
linterprétation de lauteur est réussie, Kundera souligne que, si cette doctrine vaut pour la nature en général, elle ne
correspond pas à la nature humaine, toujours nouvelle. La sexualité ne devient novatrice que liée à lérotisme, qui
exploite la différence, plonge dans ce qui est unique, ouvre des chemins à lavenir. Le kitsch prolonge lidile, souvenir
de la douceur statique du paradis perdu, antérieur au savoir. Daphnis et Chloé, le couple des jeunes idiliques, vit dans
lignorance.
Nous entrons dans un humanisme nouveau, qui est conscient de la précarité de lhomme attentif à la mort. Unissons le
deuil causé par la mort de lhomme e ses conséquences dans les vers de Fernando Pessoa où on lit que lhomme nest
rien et au même temps le poète lui ouvre toutes les possibilités du monde. Les possibilités croissent à mésure que l
indétermination augmente. Contre des idées essencialistes, Fernando Pessoa élabore un système universel ouvert où
des astres tournent autour dautres astres et des dieux tournent autour dautres dieux. Si on substitue les programmes
aux dieux, on arrive à une conception actualisée de lunivers.
Les pondérations faites par Kundera sur la différence entre chemin et route paraissent opportunes. La route mène dun
endroit à un autre, dune information à une autre. Nous éprouvons de lirritation si dix ou quinze minutes sont
insuffisantes, disons, pour acceder à une bilbiothèque à Moscou par un appareil instalé dans notre bureau. Le retard du
véhicule que nous choisissons pour notre déplacement nous énerve toujours. Des routes matérielles où virtueles élident
temps et espace. Si nous sommes sur des chemins, au contraire, nous avons du temps pour contempler les arbres, les
fleurs, les montagnes, les vallées. Seul lart, étant un chemin, nous offre l occasion de suivre le spectacle varíé de la vie.
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